Brexit : 8 questions sur l’avenir de la normalisation volontaire européenne

Brexit : 8 questions sur l’avenir de la normalisation volontaire européenne

Brexit : 8 questions sur l'avenir de la normalisation volontaire européenne

Qu’est-ce que change le Brexit dans le paysage normatif européen ? Quelles normes volontaires s’appliqueront outre-Manche ? Réponses avec Camille Cloitre, du département des affaires internationales d’AFNOR Normalisation.

1/ Quels grands enjeux économiques le Brexit soulève-t-il ?

En passant de 28 à 27 membres, l’Union européenne perdra 2 % de son PIB. Mais les sujets les plus délicats sont d’ordre diplomatique : la question des droits des 3 millions de citoyens européens vivant au Royaume-Uni et des 1,2 million de Britanniques installés dans l’Union européenne, celle de la frontière avec l’Irlande (et dans une moindre mesure, le sort de Gibraltar), sans oublier celle du solde des comptes au niveau du budget européen. Commercialement parlant, Londres ne veut pas couper les ponts avec le marché unique européen : dans son livre blanc sur la sortie du Royaume-Uni et le nouveau partenariat avec l’Union européenne publié en février 2017, le gouvernement de Theresa May dit souhaiter maintenir le libre-échange avec l’Union.

2/ À quoi doit-on s’attendre en matière de normalisation volontaire ?

Le CEN et le CENELEC, les deux organisations européennes de normalisation volontaire, comptent actuellement 34 membres, un périmètre qui va donc au-delà de l’UE à 28. De plus, BSI, l’équivalent d’AFNOR au Royaume-Uni, est un organisme privé, qui n’est pas directement lié aux décisions du gouvernement britannique. Sortir de l’UE ne signifie donc pas automatiquement sortir de la normalisation européenne. Cependant, les critères pour participer à la normalisation européenne ne sont pas uniquement géographiques : les membres du CEN-CENELEC sont les organismes de normalisation nationaux des pays de l’Union européenne et de l’Association européenne de Libre-échange (l’AELE) qui regroupe notamment l’Islande, la Norvège ou la Suisse. Peuvent également être membres les organismes de pays « susceptibles » de rejoindre l’UE ou l’AELE, c’est-à-dire officiellement candidats et ayant conclu un accord spécifiant une période de transition. La question est maintenant : BSI pourra-t-il continuer à remplir ces critères ?

3/ Alors posons la question : BSI, le « AFNOR britannique », restera-t-il dans le concert des nations normalisatrices européennes ?

Cela dépendra des choix qui seront faits par le gouvernement britannique. Si le Royaume-Uni rejoint l’AELE, BSI pourra rester membre du CEN et du CENELEC. Mais ce n’est pas aujourd’hui l’option la plus probable, notamment parce que les membres de l’AELE ont des obligations en termes de libre circulation des personnes, alors que la majorité des partisans du Brexit sont en faveur d’un contrôle plus stricte de l’immigration intra-européenne. Dès que l’issue des négociations entre Londres et Bruxelles sera connue, les membres du CEN et du CENELEC devront discuter de l’opportunité de modifier les règles pour les adapter au nouveau statut du Royaume-Uni. BSI pourrait trouver un allié de circonstance en TSE, l’organisme de normalisation turc. En effet, les négociations sur l’accord d’adhésion entre la Turquie et l’UE, qui fondent l’appartenance de TSE au CEN-CENELEC, sont actuellement au point mort, et Angela Merkel a annoncé dans un discours de campagne sa volonté d’y mettre un terme. On s’achemine donc sans doute vers une discussion plus large sur les critères d’appartenance à la normalisation européenne.

4/ Si BSI reste membre du CEN-CENELEC, cela pourrait brouiller les cartes en termes de processus de vote des normes. Dans quelle mesure ?

Il existe effectivement une distinction dans les règles sur le vote des normes entre les pays de l’Espace économique européen (EEE), entité qui rassemble les pays de l’UE et certains pays de l’AELE, et les autres, c’est-à-dire aujourd’hui la Suisse, la Turquie, l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine et la Serbie. En effet, les pays de l’EEE appliquent entièrement la liberté de circulation des produits, des services, de capitaux et des personnes : il est donc particulièrement important qu’ils disposent des mêmes normes volontaires. C’est pourquoi, lorsqu’un projet de norme est rejeté, on réalise un second décompte en excluant les pays non-membres de l’EEE ; si la norme est adoptée, ceux qui ont voté contre et ont été exclus du deuxième décompte seront dispensés de l’obligation de la reprendre dans leur collection nationale. Ces cas sont aujourd’hui très rares, mais pourraient se multiplier si le Royaume-Uni, qui a un poids de vote important, se trouvait demain dans la catégorie des pays exclus du deuxième décompte. Nous ignorons à ce jour si BSI demandera de modifier cette règle, dans le but de garder un statut de membre à part entière, ou s’il espère profiter de cette disposition pour être dispensé de reprendre des normes jugées problématiques par les experts anglais.

5/ « Qui fait la norme fait le marché. » Les entreprises britanniques ont-elles pris la mesure du risque commercial qu’il y aura à moins « coller » au marché européen ?

Il est difficile de prévoir quelle sera l’attitude des acteurs économiques britanniques. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Ainsi, il est possible que, pour préserver leurs liens commerciaux avec leurs anciens partenaires de l’UE, les entreprises britanniques choisissent de s’investir davantage dans la normalisation volontaire, dont les effets positifs sur les exportations et le commerce international ne sont plus à démontrer. Dans ce cas, la France serait confrontée à une compétition accrue, notamment pour les responsabilités des structures de travail, peut-être au CEN-CENELEC, mais surtout à l’échelle internationale, à l’ISO et l’IEC. « Nous nous attendons à ce que le Royaume-Uni continue à jouer un rôle-clé dans le développement des normes volontaires internationales », est-il écrit en effet dans le livre blanc du gouvernement britannique. Le cas échéant, cela sonnerait la fin du déclin du Royaume-Uni en termes d’influence, comme analysé dans le baromètre international de la normalisation volontaire.

6/ En n’étant plus obligée de transcrire dans son droit national les actes législatifs et réglementaires européens, dont ceux qui parlent des normes volontaires, Londres fait-elle table rase du passé ?

Non : la « Great Repeal Bill », ou « Grande loi d’abrogation », annoncée en octobre 2016 et soumise au vote à l’automne 2017, entérinera la sortie de l’UE tout en préservant l’intégralité du droit européen tel qu’il existe aujourd’hui dans le droit britannique. Cela signifie que les directives « Nouvelle approche », sur lesquelles s’appuient de nombreuses normes volontaires européennes, continueront à s’appliquer outre-Manche, au moins dans un premier temps. Par la suite, le Parlement britannique pourra revenir unilatéralement sur ces textes et ignorer les nouvelles règlementations adoptées au niveau européen.

7/ BSI lui-même prêche-t-il le Brexit ou la continuité ?

Depuis l’annonce des résultats du référendum en juin 2016, BSI a martelé avec constance que le Brexit n’aurait pas de conséquences sur son implication dans la normalisation européenne. Les parties prenantes britanniques ont largement exprimé leur soutien à une continuation, et même un renforcement, de la participation de BSI à la normalisation européenne, dans l’espoir de compenser les effets économiques négatifs du Brexit. Mais dans les faits, le CEN et le CENELEC entretiennent des liens étroits avec la Commission européenne et une partie significative des normes volontaires qu’ils élaborent ont vocation à venir en soutien de la règlementation de l’UE grâce au système de la Nouvelle approche, qui permet aux normes harmonisées de donner présomption de conformité aux exigences essentielles de la règlementation. Si demain les législations européennes et britanniques divergent, BSI sera confronté à un dilemme : devra-il reprendre dans sa collection nationale des normes européennes n’ayant plus de rapport avec la législation britannique ou se mettre en infraction avec les règles du CEN-CENELEC et garder ses propres normes nationales ? BSI n’a jusqu’ici pas pris clairement position sur cette question, mais il est possible qu’il déploie une campagne d’influence dans les prochains mois afin de demander de modifier les règles du CEN-CENELEC. Une des solutions qu’il pourrait défendre serait de permettre aux membres de choisir entre différents niveaux d’implications et d’obligations, par exemple en introduisant dans les comités techniques, sur le modèle de l’ISO et de l’IEC, la notion de membres « participants » et « observateurs », sans exigence de reprise dans la collection des normes volontaires pour les seconds. Toutefois, une telle proposition appelle la plus grande vigilance, car elle pourrait remettre entièrement en cause le mécanisme d’harmonisation qui sous-tend la Nouvelle approche et contribue à garantir la libre circulation des produits et des services sur le Marché unique.

8/ Que se passera-t-il si l’Écosse quitte le Royaume-Uni, à l’issue du nouveau référendum qu’elle a demandé à organiser ?

Si l’Écosse devient un État indépendant, souhaite rester dans l’Union européenne (à la différence du royaume qu’elle quitte) et revendique voix au chapitre au sein des instances de normalisation volontaire, il faut qu’elle en fasse la demande. Donc, pour les normes volontaires, qu’elle crée son organisme national, un « AFNOR écossais ». Quant au corpus normatif actif en Écosse, hérité de BSI et du Royaume-Uni, il pourra continuer à s’appliquer si telle est la volonté d’un gouvernement écossais indépendant.

> En savoir plus sur le processus d’élaboration des normes volontaires…

© Adobe Stock/Pixelbliss



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