Vous agissez pour la biodiversité ? Donnez un cadre commun à vos projets

Vous agissez pour la biodiversité ? Donnez un cadre commun à vos projets

À la demande des professionnels, AFNOR lance une commission de normalisation visant à définir outils et méthodes de référence pour cadrer les projets liés à la protection de la biodiversité.

À la mi-janvier 2019, le Forum économique mondial a publié la 14e édition de son rapport des risques mondiaux : le Global Risks Report. Celui-ci place l’érosion de la biodiversité parmi les dix risques les plus menaçants pour notre société. « Que ce soit pour nous nourrir, pour respirer un air assez pur ou pour avoir accès à l’eau potable, nous dépendons directement de la nature. C’est pourquoi l’érosion de la biodiversité et la disparition de centaines d’espèces nous concernent et nous affectent directement. Les deux années à venir pourront marquer un véritable tournant si les objectifs et les actions qui découlent des prochains rassemblements internationaux sur la biodiversité sont suffisamment ambitieux, tout en restant atteignables », espère Sylvain Boucherand, PDG du cabinet B&L Évolution et président de la nouvelle commission de normalisation AFNOR sur la biodiversité.

Une commission de normalisation sur la biodiversité ? Oui, car la normalisation a son rôle à jouer dans ce domaine, en complément de la réglementation et des initiatives privées. Faites par et pour les professionnels, les normes volontaires sont d’une aide précieuse pour définir un cadre d’action et un langage communs. En matière de biodiversité, « le besoin d’en élaborer s’est fait sentir en 2018, au lendemain d’un séminaire AFNOR ayant réuni quelque 70 participants : bureaux d’études, organismes publics, ministères, collectivités territoriales, centres techniques et scientifiques, organismes de certification, organisations professionnelles, entreprises de tous secteurs, associations de consommateurs et de protection de l’environnement », relate Agnès Meur-Richaume, qui a supervisé ce travail de recensement (appelé « instruction » dans le jargon de la normalisation) en tant que responsable développement pour les marchés de l’eau et de la biodiversité à AFNOR. Depuis, une réunion d’information s’est tenue fin mars 2019, pour présenter la feuille de route de la nouvelle commission, celle-ci devant se réunir une toute première fois en mai 2019.

Biodiversité : définir un langage commun à tous les acteurs

Premier besoin identifié : s’accorder sur un corpus de termes afin de développer un langage commun à tous les acteurs. « La biodiversité, assure Sylvain Boucherand, est un sujet complexe à plusieurs dimensions : philosophique, biologique, économique, scientifique. » En fonction de son domaine de travail et de prédilection, le mot peut évoquer des notions très différentes. Pour certains, c’est ce qui donne son cachet à un paysage, son identité à un terroir. Pour les scientifiques, écologues ou naturalistes, le terme recouvre l’ensemble des espèces d’un écosystème et leurs interactions. Une entreprise y voit surtout des services écologiques, et une source de matières premières indispensables à son activité. Sans négliger non plus la dimension éthique et religieuse qu’accordent certaines populations à des espèces ou des écosystèmes particuliers. D’autres termes sont aussi susceptibles d’être précisés, tels « écosystème », « services écologiques », « impacts sur les milieux »… Et la liste n’est pas exhaustive !

Autre besoin évoqué : la révision de la norme NF X10-900, datée d’octobre 2012. Impulsée par l’Union des professionnels du génie écologique (UPGE), elle définit une méthodologie de conduite de projet en génie écologique pour les zones humides et les cours d’eau. « L’idée est de mettre à jour cette norme et de l’élargir aux milieux terrestres et marins, précise Agnès Meur-Richaume. Les consultations lors des travaux préparatoires ont montré qu’il y avait beaucoup d’attentes sur ce sujet. »

Une méthode pour évaluer les impacts directs et indirects

Sylvain Boucherand, PDG du cabinet B&L Evolution et président de la nouvelle commission AFNOR sur la biodiversitéA également émergé des débats le besoin de mieux évaluer l’empreinte biodiversité d’une entreprise ou d’une collectivité territoriale, à l’aide d’une méthode faisant consensus, capable de quantifier précisément les impacts directs et indirects. Cet exercice nécessite de prendre en compte l’ensemble du cycle de vie d’un produit ou d’un service, de l’extraction des matières premières, la transformation, le transport, la distribution, jusqu’à la fin de vie des produits. « L’objectif, affirme Sylvain Boucherand, est d’inciter les entreprises à savoir sur quels maillons de la chaîne de valeur elles peuvent intervenir pour réduire leur empreinte biodiversité. »

Enfin, plusieurs acteurs ont souligné l’importance qu’il y a à s’échanger de manière facile et fluide tous types de données sur la biodiversité, produites par les scientifiques, les naturalistes ou les bureaux d’études spécialisés. En effet, aujourd’hui, certaines données ne sont pas toujours aisément accessibles, ou diffusables, notamment pour des questions de format et de compatibilité entre logiciels. Là aussi, la normalisation offre une réponse.

Biodiversité : des normes pour des méthodologies consensuelles

Résumées ici en quatre idées-forces, les pistes de travail exprimées jusqu’à présent sont susceptibles d’évoluer, en fonction des demandes des parties prenantes à la commission. « Celle-ci est un lieu de partage, de rencontre, de co-construction pour élaborer un langage commun, bâtir une vision commune sur la biodiversité, et échanger sur les bonnes pratiques, résume Bruno Costes, président du comité stratégique Environnement et responsabilité sociétale, l’instance d’AFNOR qui pilote le programme de normalisation sur ces sujets. La commission a pour mission de construire une feuille de route, même embryonnaire, de la valider, puis d’engager les travaux de normalisation, d’abord en France puis à l’international. »

Pour Bruno Costes, par ailleurs haut dirigeant chez Airbus et élu local, il est nécessaire de construire des méthodologies standardisées et consensuelles efficaces : « Quand plusieurs industriels veulent s’étendre sur une même zone, chaque parcelle fait l’objet d’un diagnostic de biodiversité réalisé par un cabinet d’étude particulier. Faute de méthodologie normalisée, l’administration reçoit des rapports très hétérogènes, alors qu’ils ont été réalisés sur le même milieu naturel ! Cette situation amène de la confusion, ne sert pas la préservation de la biodiversité, et peut retarder de plusieurs années des projets d’infrastructures d’importance. »

Commission biodiversité : une instance ouverte au plus grand nombre

En complément, Bruno Costes propose que les bureaux d’études bénéficient à terme d’un label montrant qu’ils mobilisent une pluralité d’expertises, à même de donner confiance aux donneurs d’ordre et aux pouvoirs publics. À l’avenir, pourquoi les administrations ne pourraient-elles pas aussi imposer, dans le cahier des charges de la commande publique, de prendre en compte une ou plusieurs normes issues des travaux de la commission sur la biodiversité ?

Mais pour qu’elle soit efficace, la commission de normalisation nécessite la participation du plus grand nombre, sur un temps long. Un raisonnement pas toujours évident pour les entreprises, qui en attendent un retour sur investissement rapide, ou pour les associations de consommateurs et de protection de l’environnement, qui manquent de temps et de moyens pour mobiliser leurs experts. Pourtant, leur présence est indispensable pour porter une vision aussi plurielle que consensuelle de la biodiversité. Avec l’idée que toute l’économie dépend de la biodiversité : un rapport remis au ministère de l’Écologie en 2016 indique ceci : « Les secteurs fortement dépendants de la biodiversité génèrent près d’un million et demi d’emplois (soit 10 % du total des emplois salariés) et 275 milliards d’euros de chiffre d’affaires. (…) Au-delà, en tenant compte des dépendances indirectes tout au long des cycles de vie des produits, ce sont près de 80 % des emplois français qui sont concernés par la biodiversité et qui subiraient les impacts d’une dégradation irréversible des écosystèmes. »

La biodiversité dans les normes existantes

Aucune norme spécifique à la biodiversité n’est encore publiée, mais plusieurs normes abordent le sujet de près ou de loin, au moins en citant le terme :

  • NF X10-900 « Génie écologique – Méthodologie de conduite de projet appliqué à la préservation et au développement des habitats naturels – Zones humides et cours d’eau »
  • NF EN ISO 14001 sur les systèmes de management environnemental
  • NF ISO 26000 sur les « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale » citent plusieurs fois le terme « biodiversité ».

Le mot ou la notion intervient aussi dans les travaux d’autres commissions de normalisation :

  • Biosurveillance de la qualité de l’air : évaluation de la qualité de l’air à l’aide d’organismes vivants : lichens, mousses, foliaires des conifères, tabac, salades, abeilles… (AFNOR T95AIR)
  • Écotoxicologie : méthodes d’essai biologiques pour les sols, sédiments, eaux douces et marine, boues et déchets (AFNOR T95E)
  • Qualité écologique des milieux aquatiques (AFNOR T95F)

© Getty Images



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