Publié le 07/12/2018, mis à jour le 13/11/2020 à 13:58 Machines agricoles : trois décennies de sécurisation
Tracteurs, remorques, déchiqueteuses, moissonneuses-batteuses… Ces engins potentiellement dangereux font partie du quotidien des professionnels du monde agricole et forestier. Pour que la sécurité des utilisateurs soit pleinement intégrée dès la conception des machines, fabricants, ministères et préventeurs élaborent des normes depuis trente ans. Des normes volontaires.
À la fin des années 1980, les engins agricoles étaient impliqués dans un accident sur quatre sur les exploitations. Trente ans plus tard, c’est le cas dans un accident sur six, et même moins. L’effet des 91 normes volontaires de sécurité élaborées entre temps ? Possible, estiment les membres du CEN/TC 144, le comité technique européen créé en 1988 ! Autour de la table, institutionnels, fabricants et utilisateurs confrontent leurs points de vue et cherchent un consensus sur tous les thèmes qui touchent à la sécurité du matériel agricole. « Nous partons toujours du terrain, insiste Benoît Moreau, conseiller national en prévention à la MSA (Mutualité Sociale Agricole). Nous menons des enquêtes et des études d’accidentologie pour déterminer quels sont les types d’accidents les plus fréquents et voir comment intervenir. »
Un juste équilibre entre sécurité et efficacité
En trois décennies, près de 100 référentiels ont été publiés et révisés, avec toujours la même volonté : trouver le juste équilibre entre sécurité et efficacité. « Si les mécanismes de sécurité installés sur les machines sont mal conçus et rendent les tâches difficiles à réaliser, les utilisateurs risquent de les désactiver, décrypte Leïla Martin, chargée de mission au Bureau de la santé et de la sécurité au travail du ministère de l’Agriculture. Il s’agit aussi de s’assurer que les nouvelles normes et les avancées de la technologie sont en adéquation avec les exigences réglementaires. »
Pour les industriels qui fabriquent ces machines, les normes, même d’application volontaire, constituent un atout précieux. Elles sont élaborées sous mandat de la Commission européenne et accordent une présomption de conformité à la réglementation. Les normes facilitent ainsi l’accès au marché et apportent un avantage compétitif aux fabricants qui s’y conforment. Autre point de vigilance : s’assurer de la viabilité économique de la norme. Si les exigences renchérissent trop le prix de la machine, les exploitants ne pourront pas l’acheter.
Le syndicat Axema, qui fédère près de 230 fabricants, siège au sein du comité de normalisation pour défendre les intérêts des constructeurs. « Nous effectuons un travail de veille et échangeons avec nos clients exploitants pour recueillir leurs besoins et leurs demandes, explique Guillaume Bocquet, responsable du pôle technique. L’une de nos missions consiste à accompagner l’évolution technologique. La publication prochaine de la norme NF EN ISO 18497 sur les risques des machines hautement automatisées l’illustre. De plus en plus de machines robotisées sont mises sur le marché pour assurer des tâches agricoles à la place ou en renfort d’une intervention humaine, telles que la distribution des aliments au bétail, le binage, l’épandage,… Ces nouvelles techniques génèrent des risques qui doivent être maîtrisés. Les normes sont des outils pour répondre à ces enjeux. Les constructeurs que nous représentons ont un vrai rôle de prescripteur à jouer. »
Accompagner l’innovation
D’autant qu’en la matière, la variable temps joue un rôle très particulier. S’il faut plusieurs mois pour élaborer une norme, avec révision possible tous les cinq ans, le parc des équipements ne suit pas le même rythme. L’ancienneté moyenne atteint dix, voire quinze ans ou plus pour certaines machines. Les exigences d’aujourd’hui seront donc appliquées sur des engins construits demain, mais encore en service dans plusieurs années…
De fait, les membres de la commission se projettent ! Et les sujets ne manquent pas. La robotique constituera l’un des défis de ces prochaines années. Avec le développement du numérique, la mission du comité technique du CEN se concentrera davantage sur les risques engendrés par ces opportunités. Mêmes débats autour de l’agro-écologie. « Ces nouvelles orientations doivent également être envisagées sous l’aspect normalisation », précise Leïla Martin.
Autre volonté : être toujours plus spécifique. « Le comité intervient sur un large spectre d’activités, exploitations agricoles ou forestières par exemple. Petit à petit, des textes spécifiques émergent, comme la norme sur les plateformes élévatrices utilisées dans l’arboriculture qui doivent répondre à des contraintes particulières : terrain non plat, présence d’arbres, plusieurs personnes sur la plateforme, etc. Cela implique d’adapter les exigences pour prévenir les basculements, la surcharge. » La visibilité constitue un autre axe de travail majeur. De nombreux accidents restent liés à des problématiques d’angles morts et de manœuvres à l’aveugle. Mais le cap reste inchangé : protéger les utilisateurs et accompagner l’innovation. 1988, 2018, 2038… Dans le domaine du machinisme agricole, la normalisation européenne a encore de beaux jours devant elle !
Le rôle moteur de la France
Depuis 1988, la France s’implique fortement dans le processus de normalisation des agroéquipements, à l’échelle européenne. Elle était déjà très présente au plan international au sein du comité technique ISO/TC 23 actif sur les mêmes équipements. Depuis peu, les commissions françaises se penchent aussi sur la sécurité des machines à lin et des machines viti-vinicoles, notamment les pompes à vendange pour lesquelles il n’existe encore aucune norme de sécurité. Une fois les travaux préparatoires achevés, ils seront soumis au comité européen pour élargir leur impact et donner une présomption de conformité à la réglementation européenne.
Des exemples récents
– Les commandes. Elles doivent être facilement accessibles et ne pas présenter de danger pour l’opérateur. Ce dernier doit pouvoir les actionner aisément et sans risque. Les récentes évolutions technologiques sont prises en compte, comme les systèmes d’autoguidage pour tracteurs (norme ISO 10975:2009) ou les dispositifs de commande reliés à des terminaux virtuels (norme ISO 15077:2008).
– La protection contre le renversement. La cabine de pilotage doit être conçue pour protéger l’utilisateur si le tracteur bascule. Une obligation réglementaire prévue par les codes normalisés 3, 4, 6, 7 ou 8 de l’OCDE sur les essais des tracteurs. Concernant les ceintures de sécurité, on les retrouve dans la norme ISO 3776-3:2009.
– La protection contre les substances dangereuses. Le constructeur de pulvérisateurs automoteurs ou de tracteurs dispose de la norme EN 15695:2009 pour protéger l’occupant de la cabine de pilotage contre les substances dangereuses. Des catégories permettent ensuite à l’utilisateur de choisir un équipement muni d’une cabine de niveau 2, 3 ou 4 en fonction des risques rencontrés lors du semis ou des traitements (protection contre les poussières, aérosols et vapeurs).
> Participer à l’élaboration des normes sur les équipements agricoles et forestiers
> Rejoindre la commission de normalisation dédiée aux tracteurs agricoles et forestiers